22 novembre 2004

Confection d'un cigare

La fabrication d’un cigare est un travail d’orfèvre, une confection minutieuse, qui requiert des gestes précis, un concerto en plusieurs mouvements qu’aucune machine au monde ne peut réaliser à l’identique. D'ailleurs un cigare "machine" est faussement parfait pour les amateurs de cigares (tirage trop aisé, manque de personnalité, poids trop léger en général).



Un bon cigare ne peut être élaboré qu'avec d'excellents tabacs. La région qui produit les meilleurs tabacs au monde s'appelle la Vuelta Abajo dans la région de Vinales (cf. photo ci-dessus) et son triangle d’or est délimité par les villes de Pinar del Rio, San Luis et San Juan Y Martinez. Cette région est située à quelques 200 km de la Havane, au Nord de l'île de Cuba.



Tout débute par la sélection des feuilles, opération déterminante dans la qualité finale du cigare. Les plants de tabac (cf. photo ci-dessus) sont élevés soit en plein soleil ("tabaco de sol") soit sous-serre de coton(“tabaco tapado”). Ces derniers sont particulièrement “chouchoutés”. En effet, les belles et larges feuilles serviront à confectionner la cape des vitoles. Cette fameuse enveloppe extérieure qui protège le cigare fait l’objet d’un casting rigoureux car c’est elle qui, à l’instar de la robe du vin, séduit l’oeil et le toucher du fumeur à la recherche de la vitole magique (bien qu'il se dise que cette dernière n'impacte quasiment pas le goût délivré par le cigare, i.e. 3% du goût serait imputable à la cape). Les capes poussées sous abri sont classées par couleur ligero (clair), viso (luisant), amarillo (jaune), medio tiempo (moyen) et quebrado (brisé). Les feuilles issues des plants qui ont poussé au soleil et qui serviront à constituer le corps du cigare sont réparties en volado, seco, ligero et medio tiempo. Les feuilles ligero sommitales ont un parfum très puissant, les seco données par la partie médiane sont plus légères et plus aromatiques aussi et les volado de la partie inférieure sont utilisées pour faire du volume et améliorent la combustion. Un cigare mal rempli, i.e. de façon non homogène est qualifié de "fofo".

Une fois récoltées, les feuilles sont mises au séchage dans la ferme ou "vega" du vegueros (cf. ci-dessous). Humidité et température sont fréquemment contrôlées.



Ensuite, les feuilles de tabac récoltées et séchées vont subir un processus essentiel : la maturation. Cette étape se passe dans un établissement dédié au traitement des feuilles, la "casa del tabacco", et ne se fait jamais sur le lieu de récolte des feuilles de tabac. Les "vegueros" envoient en effet leur production dans ces établissements. A leur arrivée, les feuilles sont humidifiées (cf. ci-dessous) et triées. L'opération de triage est essentielle et est appelée l'"escogida". Les feuilles ne sont plus jamais mélangées à partir de ce stade. Chaque ballot est traité avec des feuilles de même catégorie. C'est primordial.



Cette phase de périodes alternées d’humidification et de séchage doit permettre à chaque feuille de concentrer ses arômes tout en se libérant de l’ammoniaque naturellement présent dans les feuilles. Sur la photo ci-dessous, la porte qui isole la pièce dans laquelle on fait perdre aux feuilles de tabac la grande majeur partie de leur ammoniaque (elle est ravagée tant l'ammoniaque a des propriétés corrosives).



Le bon déroulement de ce processus très rigoureux donne aux tabacs tout leur potentiel. Les feuilles arrivées à bonne maturation passent alors par la phase d’écotage ou "despalillo", opération qui consiste à ôter la nervure médiane des feuilles. Conditionnées en balles ou "yagua" bien identifiées (cf. ci-dessous), les feuilles sont envoyées à l'entrepôt central ou "almacen" pour y être ensuite acheminées dans chaque "fabrica de tabaccos" en fonction des choix des "jefe" ou maîtres de liga. Les feuilles sont alors aérées, défroissées et lissées avec soin et légèrement humidifiées. Après une phase de repos, les feuilles passent entre les mains des écoteuses qui les trient par taille et couleur avant de les acheminer en bout de chaîne aux “torcedors”, les rouleurs.



Si le peuple des “Vergueros” (j’en fut un ! lol) a pour mission de préparer les feuilles de la récolte au séchage, il incombe aux “torcedors” ou cigariers de rouler les différentes feuilles pour former le cigare définitif (ses outils sont très rudimentaires et pourtant bien suffisants, cf. ci-dessous).



Entre les mains expertes de ces manipulateurs de génie, le cigare va prendre forme. Après une période de formation en école (au sein de chaque fabrique), chaque rouleur est spécialisé dans un type de cigare dont il connaît sur le bout des doigts la taille, le diamètre. Une fiche propre à chaque vitole lui indique le mélange approprié pour confectionner un cigare particulier (seul le maître de liga ou "jefe" élabore la fameuse "ligada", le mélange subtil qui fait la spécificité de chaque vitole). Aidé de la “chaveta” (petite lame aux extrémités acérées), le “torcerdor” entreprend le façonnage du cigare. Il dispose de cinq tas de feuilles différentes : la cape, la sous-cape qui sert à retenir la tripe elle-même composée de trois tabacs différents, à savoir le “ligero” qui confère la puissance aromatique, le “volado” à la texture épaisse assurera pour sa part une bonne combustibilité, enfin, le “seco” plus chargé en arômes qui apporte aux cigares toute la finesse gustative. La tripe assemblée, le torcedore la roule dans la sous-cape avant de mettre l’ensemble sous un moule. Puis vient la pose de la cape en enroulant la feuille du pied du cigare jusqu’à sa tête. Cette dernière sera fermée par une pastille prélevée à même la cape. Sa pose (à l’aide d’une colle naturelle et sans aucune propriété gustative) est délicate et requiert une grande expertise (une construction irréprochable laisse entrevoir les « trois tours » nécessaires pour bien poser cette pastille). Quant au tabac qui dépasse côté pied, il sera coupé net à la guillotine.

Un bon torcedor peut rouler jusqu’à cent cigares par jour (soit deux roues de 50 cigares, cf. photo ci-dessous). Pour éviter les défauts, des échantillons de la production (identifiés pour chaque rouleur) sont prélevés et testés par une équipe de contrôle qualité. Sont étudiés : la qualité visuelle et les qualités de tirage afin que chaque cigare produit répondent à un cahier des charges exigeant. Les produits jugés non conformes sont mis à la disposition des torcedors (femmes et hommes) qui peuvent ainsi travailler en fumant. Ce qui signifie qu’en théorie, aucune retouche n’est possible.



Il existe bien sûr des cigares usinés mais aucune cape ne peut résister à ce traitement. Aussi, a-t-on recours pour ce type de produit à des feuilles plus épaisses, plus grossières et dont la finesse aromatique n’a plus rien de commun avec les cigares fait main.

LVM (retour d'expérience d'un voyage à Cuba dans la province de Pinar del Rio + merci à Karim et JM Haedrich pour m'avoir indiqué les quelques termes utilisés par les "pros" de cette merveilleuse filière du tabac)

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